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La
sittelle kabyle (sitta ledanti) : l'oiseau
rare.
Il y a trente ans, le 5
octobre 1975, un coup de tonnerre raisonne dans le milieu des
ornithologues. L'observation dans le site exceptionnel du Mont Babor
(à seulement une vingtaine de kilomètres du littoral), en Petite
Kabylie, par un jeune agronome belge, Jean-Paul Ledant, d'un oiseau
non répertorié. |
Un réel événement
puisque plus aucun oiseau n'avait été découvert entre le
Sahara et l'Arctique depuis 1884.
J.-P. Ledant :
"A l'époque, les lieux étaient protégés car très difficiles
d'accès. Pour atteindre le pied de la montagne, il fallait
rouler sur une piste glissante et boueuse qui penchait
dangereusement vers le précipice et franchir une passerelle
branlante au-dessus d'un ravin." (1) |
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"Pour un
naturaliste, toute rencontre avec une espèces inattendue est
sujet d'étonnement et d'enthousiasme. J'ai d'abord cru avoir
affaire à la sittelle corse (ou à une variété de cette
espèce), ce qui aurait été plus banal qu'une espèce inconnue
mais fort étonnant quand même. Je ne m'imaginais pas que cela
puisse être une découverte, convaincu que j'étais d'être
sous-informé ou sous-documenté."
"J'avais été
attiré par les conditions écologiques particulières (c'est
sans doute la montagne la plus neigeuse d'Algérie) et la
présence du sapin de Numidie (espèce endémique du Babor et du
Tababor). |
Vu la présence de ce sapin
et de diverses autres espèces de plantes qui s'y trouvaient en
populations isolées (par exemple c'est le seul lieu de
présence en Afrique du peuplier tremble), c'était un lieu de
découvertes potentielles. L'oiseau est simplement venu me
distraire de mes pensées, alors que je rêvassais assis sur une
pierre." |
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"Concernant la
rareté de l'oiseau, la situation n'est pas aussi critique que
nous ne l'avions craint au début. Rien ne prouve par ailleurs
que l'espèce soit en diminution rapide. Les mesures à prendre
seraient de "protéger" ses habitats (forêts d'arbres âgés) sur
des superficies suffisantes, en cherchant à maintenir ou
restaurer les possibilités de connections entre les quatre
populations. Pour parvenir à cette protection, il s'agirait
sans doute d'aborder les problèmes sociaux et économiques des
populations riveraines, tout en reconnaissant le rôle positif
que joue l'élevage dans la prévention des grands incendies.
C'est un travail à long terme qui est nécessaire, dans la
durée plus que dans l'urgence". |
La Sittelle a
été découverte dans un milieu froid et humide, extrême pour
l'Afrique du Nord, plus rude que celui des Atlas.
(2) Les hivers y sont
prononcés, la couverture de neige atteint largement les deux
mètres pendant plusieurs mois. Les précipitations annuelles y
sont de l'ordre de 2000 mm, voire plus, elles subissent
toutefois un minimum estival bien marqué, caractéristique des
climats méditerranéens. En été, la sécheresse peut être
aggravée occasionnellement par des coups de sirocco, vent
chaud du désert. (3) Paul de
Peyerimhoff avait déjà remarqué combien les reliefs de Kabylie
réservaient des surprises entomologiques, du fait du climat
assez particulier et propice à la conservation de certaines
reliques. (2) |
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Espèce phylogénétiquement
plus proche de la Sittelle de Krüper (Sitta krueperi) qui vit
en Turquie que de la Sittelle corse (sitta whiteheadi) (4), la Sittelle kabyle est la seule espèce
endémique d'oiseau propre à l'Algérie. Elle vit notamment
dans les forêts où l'on trouve le Sapin de Numidie ainsi que
le Cèdre de l'Atlas, elle affectionne également trois sortes
de chênes : le chêne zéen, le chêne afarès et le chêne
liège. (5) Sa densité est
optimale en chênaie-sapinière.
(6) Elle mesure entre 11,5 et 12,5 cm. (7) Son poids : 18g environ. Comme
les sittelles corse et de Krüper, elle présente un sourcil
blanc marqué, le dessus est gris bleuté, le dessous
uniformément lavé de beige clair ; iris brun-noir, pattes gris
plomb, bec gris bleuté. Le plumage des juvéniles est, dès
leur sortie du nid, indiscernable de celui des adultes, mais
le bec est alors plus court et jaunâtre et les pattes sont
claires.
(8) |
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Les
lieux d'observation et populations :
- le Mont
Babor à plus de 2000 mètres d'altitude. 12 couples en
1976 - 20 couples en 1977, les observations se situent
ensuite également à 1450 mètres 82 couples estimés en 1982
par JP Ledant, densité de 4 couples/10 ha,
- Forêt de
Guerrouch en 1989 (Jijel), densité de 3 couples/10 ha,
l'espèce a été observée entre 0 et 1500 mètres d'altitude.
L'espèce affectionne le chêne zéen sous forme de vieilles
futaies,
- Forêt de
Tamentout (Sétif) 1990,
- Forêt de
Djimla (Sétif) 1990.
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Il n'est pas
exclu qu'on découvre encore d'autres sites de présence en
Petite Kabylie. (5)
La Sittelle se
nourrit d'insectes en été et de graines d'arbres
l'hiver.
Reproduction : 3
ou 4 œufs probablement fin mai, début juin dans une loge
creusée dans un sapin, parfois maçonnée. Envol observé des
jeunes entre le 6 et 8 juillet à 2000 mètres dans la forêt
sommitale du Mont Babor.
(5)
Les cris sont :
"tsiit tsiit !", le chant est un "quair-di quair-di quair-di"
flûté. |
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Une étude de données
comparées sur la Sittelle corse et la Sittelle kabyle a été
conduite par J.P. Ledant. Elle permet d'affirmer que la
Sittelle corse, la Sittelle kabyle et la Sittelle de Krüper
sont étroitement apparentées et forment le groupe des
"Sittelles mésogéennes" qui est distinct de la Sittelle
torchepot (européenne). Les Sittelles corse et kabyle
émettent des cris vite repérables par l'ornithologue, la
similitude des deux cris est frappante dès le premier
contact. |
Le mode de chasse
est identique, les trois sittelles explorent le feuillage, les
cônes de pins, l'écorce des troncs, les lichens. Une
différence apparaît cependant. La sittelle corse et de Krüper
chassent fréquemment à la volée (comme les gobemouches) alors
que ce comportement est absent chez la Sittelle kabyle,
probablement une adaptation aux conditions locales du Mont
Babor (proportions plus élevée de proies posées, concurrence
de l'abondant Gobemouche noir ou encore forte densité de la
végétation arborée.)
La Sittelle
corse possède deux chants : le chant habituel et le chant
territorial. La Sittelle kabyle a un chant très semblable,
mais fort discernable, au chant territorial de la Sitelle
corse. La similitude entre la Sittelle corse et kabyle est
remarquable, non seulement en ce qui concerne la morphologie,
mais aussi pour ce qui a trait aux préférences d'habitat, au
comportement de chasse et à la voix. Selon J. Vielliard,
l'isolement des deux espèces serait fort ancien, datant de 6
ou 7 millions d'années. (3)
Concernant la
conservation du patrimoine en Kabylie, Jean-Paul Ledant pense
que la gestion durable des ressources et les forêts ont déjà
fort souffert ces dernières décénnies (notamment incendies).
Les moyens nécessaires doivent être définis en fonction des
besoins, dans un souci constant d'efficience (donc
d'économie). Il ne faut pas toujours de l'argent pour
conserver les ressources. Il faut une analyse approfondie de
la problématique locale actuelle, y compris dans ses aspects
sociaux, politiques et économiques.
Laurence
D.
Tous mes
remerciements à J.P. Ledant, A. Fossé, F. Pourignaux et L.
Kaisin.
(1) Le Vif 31/01/1985 (2) commentaires par H. Heim
de Balsac (3) Extraits du Bulletin AVES par J.P.
Ledant (4) Pasquet 1998 (5) Oiseaux d'Algérie - P.
Isenmann et A. Moali (6) Mise à jour de l'avifaune
algérienne (J.P. Ledant, J.P. Jacob, P. Jacob, F. Mahler, B.
Ochando et J. Roché) (7) Guide ornitho Lars Svensson (8)
Alauda - Description de J. Vielliard |
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